Plegaria : Le Tango de la mort par Eduardo Bianco

1 Oct 2013 | 6 commentaires

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Plegaria : Le Tango de la mort par Eduardo Bianco

1 Oct 2013 | Musique, Artistes, Histoire | 6 commentaires

Histoire du Tango : Plegaria

C’est une toute nouvelle thématique qui fait désormais son apparition dans notre blog, où nous tenterons de vous narrer et vous faire revivre l’histoire du Tango Argentin au travers de certains de ces morceaux les plus plus célèbres. Pour inaugurer cette série, nous allons vous parler d’un Tango composé par Eduardo Bianco (Rosario 1892 – Buenos Aires 1959), intitulé « Plegaria », dont la traduction en français est « Prière », mais parfois mieux connu sous le nom de « Tango de la muerte » (Le Tango de la mort).

Les débuts d’Eduardo Bianco

Eduardo Bianco (1892-1959) est un violoniste de Rosario (Argentine) de formation classique qui se décide très jeune à quitter sa ville natale, pour la capitale Argentine, Buenos Aires. Après quelques tentatives infructueuses, il se résout à partir pour l’Europe en 1923 où il deviendra très rapidement un des musiciens de Tango les plus célèbres de son époque.

Il commencera à se produire dès 1924 à Paris avec le bandonéoniste Jose Maria Schumacher et le pianiste Luis Cosenza, puis Genaro Esposito et le célèbre Manuel Pizarro. C’est la rencontre avec Juan Bautista Deambroggio, dit  » Bachicha « , un fameux bandéoniste qui fit ses débuts aux côtés de Roberto Firpo, qui consacrera son succès.

L’orchestre Bianco- Bachicha fera sa première apparition au cabaret « Palermo » de la rue Fontaine, à Paris. Tout l’orchestre était habillé, comme il était de coutume à cette époque, en « gauchos ».  En Europe, dans ces années, tout le Tango qui venait d’Argentine, était bon à prendre. C’est ainsi que l’orchestre Bianco-Bachica s’est produit à diverses occasions sur la Côte d’Azur et a même pu faire quelques concerts aux États-Unis.

Eduardo Bianco

Eduardo Bianco : Une moralité quelque peu douteuse

Bianco commença dès lors à tisser des liens avec les classes supérieures et, plus particulièrement, avec quelques dirigeants politiques de l’extrême droite. Certains, comme Enrique Cadícamo, avertissaient les musiciens argentins arrivant à Paris : « Évitez de parler politique devant Bianco, car c’est un agent secret des nazis, c’est d’ailleurs pour cela qu’il a été arrêté par la police française en 1937. »

Cette sympathie pour certains dirigeants d’extrême droite l’amènera à dédier en 1931 un premier Tango, Evocación (évocation) à Benito Mussolini, puis un second la même année, Plegaria (prière ou supplique) à sa Majesté le Roi Alphonse XIII d’Espagne quelques mois avant sa destitution. Ceci n’empêchera pas Bianco de jouer également en URSS pour Staline !

Orquesta Bianco-Bachicha

Plegaria devient le Tango de la mort !

C’est également durant ces années sombres que Bianco va faire la connaissance de Eduardo Labougle, l’ambassadeur d’Argentine à Berlin, aussi admiratif d’Hitler qu’antisémite. Ce dernier souhaite promouvoir le Tango Argentin auprès des élites du IIIème Reich, pour le plus grand plaisir de Joseph Goebbels, qui y voit une excellente alternative au Jazz des Noirs Américains.

Aussi, à l’occasion d’une réception organisée à l’ambassade d’Argentine, en présence du Führer, l’occasion fut donnée à Bianco et son orchestre d’interpréter quelques morceaux pour Adolf Hitler. Sans prêter précisément attention aux paroles en espagnol, il semble néanmoins qu’Hitler ait apprécié la musique dans la mesure où il demanda de l’interpréter à nouveau et ordonna que Plegaria soit jouée par des musiciens juifs et diffusée dans les camps de concentration, notamment pour accompagner les déportés juifs vers les chambres à gaz.

C’est ainsi que Plegaria deviendra le Tango de la Muerte (Tango de la Mort) selon le poète roumain Paul Celan, lui même déporté dans le camp de concentration de Janowska et témoin de cette macabre orchestration. D’après les recherches effectuées par John Felstiner de l’Université de Yale, il s’agissait en fait d’une version sans paroles (les paroles originales de Bianco n’étaient pas adaptées à l’utilisation qui en fut faite) réalisée par Aleksander Kulisiewicz sur un disque intitulé « Songs from the depth of hell » (chants des profondeurs de l’enfer), mais qui était appelée par les SS, « Muerte en fuga » (mort en fugue). A ce jour, deux enregistrements sont conservés en Israël et aux États-Unis dans les musées dédiés à l’Holocauste.

De nos jours, pour les raisons que nous venons d’évoquer (et peut être d’autres encore ?), certain disent que Plegaria ne devrait pas être diffusée durant les Milongas. Il est vrai que ce morceau, tout comme ses autres travaux ne sont pas souvent diffusés durant les bals, bien que presque jamais je n’ai entendu un DJ me dire que c’était en raison de l’usage macabre qui en fut fait. La question reste donc posée !

Tango - orchestre juif - camp de concentration

Plegaria

par Orch. Bianco/Bachicha (Juan Raggi) (1927) | Label : Odeón - 78t. - Disque : 165.098 - Matrice : KI 1187

Paroles de Plegaria par E. Bianco

(Original Castillan)

Plegaria que llega a mi alma
al son de lentas campanadas,
plegaria que es consuelo y calma
para las almas desamparadas.
El órgano de la capilla
embarga a todos de emoción
mientras que un alma de rodillas
¡pide consuelo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuánta amargura y dolor!
Cuando el sol se va ocultando
(una plegaria)
y se muere lentamente
(brota de mi alma)
cruza un alma doliente
(y elevo un rezo)
en el atardecer.

Murió la bella penitente,
murió, y su alma arrepentida
voló muy lejos de esta vida,
se fue sin quejas, tímidamente,
y di en que noche callada
se oye un canto de dolor
y su alma triste, perdónala,
toda de blanco canta al amor!

Paroles de Plegaria par E. Bianco

(Traduction Français)
 

Prière qui vient à mon âme
Au son de lents mouvements,
La prière est le confort et le repos
Pour les âmes désemparées.
Le corps de la chapelle
Submerge tout d’émotion
Tandis qu’une âme à genoux
Demande du réconfort, demande pardon !

Hélas ! … Oh Seigneur ! …
Combien d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil se couche
(Une prière)
Et se meurt lentement
(Quitte mon âme)
Croise une âme souffrante
(Et s’élève une prière)
Au coucher du soleil.

Elle est morte la belle pénitente,
Elle est morte, et son âme repentante
A volé loin de cette vie,
Est allé sans se plaindre, timidement,
Dire que dans cette nuit silencieuse
Un chant de douleur se fait entendre
Et son âme triste, pardonnez la,
Tout de blanc chante l’Amour !

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Je ne connaissais pas l’histoire de ce tango et je vous remercie de l’avoir fait connaitre. C’est vrai que Plegaria ne passe si souvent dans les milongas et pourtant c’est un très beau morceau.

Bonjour et merci pour cet article. Je tiens cependant à apporter ici quelques précisions car on lit souvent des choses erronées sur la musique dans les camps.
Hitler n’a JAMAIS ordonné que ce tango soit joué par les prisonniers dans les camps, et que ce tango n’a jamais été joué pour « acommpagner les détenus à la chambre à gaz ».
Hitler ne s’est jamais occupé de la diffusion de la musique dans les camps. La musique avait un rôle avant tout militaire dans les camps, et aucun officiel du régime n’a pris de décision à ce sujet. En revanche il est possible qu’un membre de sa garde rapprochée ait apprécié la musique et qu’elle soit parvenue à des commandants de camps.
Quant aux chambres à gaz, les orchestres de Birkenau jouaient assis, avec des pupitres, et n’ont jamais accompagné les nouveaux arrivants vers les chambres à gaz. C’est une confusion fréquente et répandue. La musique avait certes un rôle destructeur dans les camps, mais elle n’a pas été utilisée dans ces occasions.

Article très interessant.
Quant à la question qui reste posée… à l’occasion j’en discuterai avec des dj.
il me reste maintenant à trouver la traduction de plegaria

Merci pour cet article très clair.
C’est vrai que ce Tango passe rarement dans les milongas. Je poserai désormais la question aux DJ que je verrai.